Au cours des siècles trois églises successives ont laissé
des traces dans l' histoire de Dornas.
De la première on sait, à vrai dire, peu de choses, en
dehors de son emplacement.
Elle était située à l' ouest du Grand Dornas, à l' écart
sur un hauteur surplombant la vallée de la Dorne, à l' endroit que l' on appelle
encore aujourd' hui « la vielle église ».
Le presbytère et le cimetière étaient contigüs à l'
église, et des terres voisines lui étaient rattachées. Leurs revenus assurant
l' entretien du clergé, des oeuvres et des bâtiments.
De cette première église il ne reste rien aujourd' hui et
seul le nom du lieu-dit rappelle encore cette implantation.
Cependant un document daté de 1583 dévoile un fragment de
son histoire .
Depuis 1562 la région des Boutières était, comme le reste
du Vivarais, ravagée par les guerres de religions entre catholiques et
protestants. Partout la violence et le désordre s'étaient installés. Les
affrontements entre troupes armées, les pillages, les massacres, les
destructions des églises et des temples plongeaient les populations des deux
camps dans la peur et la misère.
En juillet et août 1583, à l' occasion d' une trève, l'
évèque de Viviers avait chargé son grand vicaire, Nicolas Du Vesc, de visiter
toutes les églises du diocèse pour dresser un ètat des lieux.
L' envoyé de l' évèque arriva à Dornas le 6 août 1583 . Il
trouva l' église « rompue et déserte » , et le presbytère détruit. La
population de Dornas était presque toute protestante. Cependant les catholiques
avaient encore un curé, messire Antoine Mathon, qui disait la messe tous les
dimanches. Mais, pour sa sécurité, il résidait à Saint Andéol de Fourchade, dont
tous les habitants étaient catholiques.
A la fin des troubles, aprés l' édit de Nantes ( 1598 )
l'église de Dornas fut réparée , mais, faute de moyens, cette réparation resta
probablement assez sommaire, puisque la question d'une reconstruction se posa
assez vite.
Transfert.
Entre temps, le centre de gravité économique et
démographique du village s' était progressivement déplacé. A la fin du XVI ème
siècle « Dournassou », le « Petit Dornas », d'accés plus facile, et où se
trouvait le château, devenait plus important que Dornas ( le Grand Dornas d'
aujourd' hui ).
Les autorités seigneuriales et ecclésiastiques prirent donc
la décision de construire la nouvelle église à « Dournassou », afin qu' elle
soit mieux placée au centre de la paroisse, moins exposée aux intempéries, moins
isolée que l' ancienne en cas de nouveaux troubles.
Cette décision entraina de graves difficultés avec les
populations du Grand Dornas et du Chambonnet , qui supportaient mal qu' on les
prive ainsi de « leur » église.
En 1619, pour donner plus de poids à leur opposition, les
habitants du Chambonnet firent rédiger un argumentaire par un avocat de Tournon.
Mais toutes les démarches furent vaines et, malgré le
mécontentement d' une partie des habitants, la nouvelle église fut finalement
construite à « Dournassou », le Dornas d' aujourd'hui.
Aucun élément ne permet de fixer une date précise à ce
transfert. Cependant, en 1910, une fenêtre du presbytère portait encore la date
« 1623 » qui pourrait être celle de la construction des nouveaux bâtiments.
Mais, quelle qu' en soit la date précise, le transfert de
l' église eu lieu vers le milieu du XVIIeme siècle, et suscita chez les
populations concernées des rancunes tenaces.
La tradition orale rapporte qu' un habitant du Chambonnet,
nommé Valentin Perret, avait juré de tuer le bailli ( représentant) du seigneur
de Brion, Aymé Plantier, qui résidait au château de Dornas, et qu' il tenait
pour responsable du tranfert de l' église.
Il s' embusquait chaque dimanche à la sortie de la messe
avec son fusil, mais sans réussir à viser le bailli, toujours entouré d' autres
personnes. Alors Perret changea de méthode. Il alla attendre Plantier près du
château et, un jour que celui ci se trouvait dans son jardin, il l' abattit d'
un coup de fusil. « Enfin, j' ai tué le lièvre que je poursuivais depuis si
longtemps ! » dit il à une femme du Chambonnet rencontrée en chemin.
Une autre version moins pittoresque de l' assassinat de
Plantier a fait l' objet d' un compte-rendu officiel devant les Etats du
Vivarais en 1684. Selon ce rapport le sieur Plantier avait été tué dans son
jardin, au Cheylard, le 11 juin 1682, par une bande d' hommes armés qu' il
poursuivait dans toute la région, et qui lui avaient tendu une embuscade.
Les deux versions ne sont d' ailleurs pas incompatibles,
la réalité ayant sans doute servi de support à la légende. Cette histoire donne
en tout cas une idée du climat de violence et d' insécurité qui régnait encore
à la fin du XVII ème siècle.
Nous connaissons mieux cette deuxième église que la
premiére car des visiteurs en ont laissé des descriptions.
Selon la tradition, elle avait été bâtie par des maçons
limousins, qui à cette époque parcouraient la France par petites équipes, à la
recherche de chantiers. Pendant leur séjour à Dornas ils auraient ègalement
construit une maison au Chambonnet et deux cheminées remarquables dans des
maisons de Noirol et de Moline.
La même tradition veut que les pierres de taille de l'
ancienne église aient été descendues à bras
d' hommes par le flanc de la montagne, pour construire la
façade de la nouvelle, ce qui pourrait expliquer l' absence de ruines à « la
vielle église ».
Le nouveau bâtiment était implanté à l' emplacement de l'
église actuelle, mais la façade principale ouvrait du côté opposé, vers l'
ouest, ou se trouvait également le cimetière attenant. Cette façade supportait
un clocher en forme de triangle, percé de trois ouvertures pour recevoir les
cloches, du style que l' on voit encore aujourd' hui sur les églises de Mariac
ou d' Accons. Sur la façade une niche était destinée à recevoir la statue de
saint Vincent, patron de la paroisse, mais au XIX siècle elle était vide depuis
longtemps.
L' édifice était de style roman, à un seul toit, avec des
voûtes en pierres de taille. A l' origine elle avait une seule nef, avec six
chapelles latérales séparées complétement par un mur. Moyennant des
contributions financières ces chapelles étaient réservées à des familles
notables du village, qui avaient, en particulier, le privilège d' y ensevelir
leurs morts .
Les dimensions de l' église étaient modestes, 14 mètres
sur 14, soit 196 mètres carrés , sans les chapelles, plus 25 mètres carrés pour
le coeur. La hauteur sous voûte était de 9 mètres.
En 1852 les habitants du Cros et de Moline avaient, sur
leur demande, été rattachés à la paroisse de Dornas, et l' église était devenue
trop petite. C' est alors que les chapelles latérales furent percées et l'
église devint ainsi une église à trois nefs.
Le coeur était orné de fresques mais, avec le temps, celles
ci étaient devenues presque invisibles.
Vers la fin du XIXéme siécle le bâtiment était en très
mauvais état, et trop exigüe pour recevoir toute la population. Le clocher
n'était plus utilisable et, pour des raisons de sécurité, les cloches avait été
suspendues sur un échafaudage en bois, construit sur la placette derriére l'
église ( c' est à dire devant l' église actuelle).
La démolition, puis la reconstruction sur le même
emplacement, furent donc décidées.
.Entre temps, vers 1880, le cimetière avait été transféré
à son emplacement actuel, ce qui laissait plus de place pour la construction du
nouvel édifice. Vers la même date, sur l' initiative du curé,
l' abbé Ducros, et grace à une collecte publique, un
terrain voisin de l' église avait été acheté pour compléter la parcelle, et un
mur de souténement construit, celui que l' on voit aujourd' hui à
l' arrièrre de l' ancien presbytère. Mais faute de
financement le projet dut être abandonné. C' est seulement en 1898 qu' il fut
relancé avec l' arrivée d' un nouveau curé, l' abbé Chalvidan.
Reconstruction.
La construction de la nouvelle église fut la source de
vives tensions entre les pouvoirs publics et le curé, ainsi qu' au sein même de
la population.
A l' époque, ( 1900) les relations entre l' Eglise et l'
Etat étaient régies par le concordat de1801 , qui instituait un service public
des cultes en France, sous la surveillance et avec un financement de l'
Etat.
Chaque lieu de culte était géré par un conseil d'
administration composé de paroissiens, appelé « fabrique » . L' entretien des
bâtiments de cultes et des presbytères ètait assuré par l' Etat et les
communes,et les ministres des cultes étaient rémunérés par l' Etat comme des
fonctionnaires. Leur traitement pouvait être suspendus à titre disciplinaire.
Sous l' impulsion de l' abbé Chalvidan un projet
architectural et des devis furent établis.Une souscription publique auprés de la
population avait rapporté 30000 frans ( francs or, bien sur) et la contribution
des pouvoirs publics fut sollicitée.
Mais le prefet exigea du maire une réduction des côuts par
la suppression du porche, la diminution de la hauteur du clocher, le
remplacement des voûtes par une charpente apparente.
Dans sa réponse au prefet le maire expliqua qu' il n' avait
pas accés au dossier, qui était entierement entre les mains du curé. Celui ci
avait d' ailleurs déclaré en chaire que la municipalité n' avait rien à voir
dans l' adjudication des travaux et que tout devait être décidé par la fabrique.
Selon lui celle ci était seule propriétaire de l' argent de la souscription et
du terrain sur le quel la nouvelle église devait être bâtie.
Au contraire, pour le préfet, les 30000 francs de la
souscription appartenaient à la commune, et
c' est elle qui devait diriger les travaux, d' autant plus
qu' elle était, légalement, propriétaire du terrain.
Quoi qu' il en soit, aprés maintes péripéties financières,
administratives et politiques les travaux purent enfin commencer. Ils s'
achevèrent en 1901, comme en témoigne encore aujourd' hui une inscription
visible sous le porche.
Mais, pour des raisons d' économie, l' église n' avait pas
de clocher. Les cloches restèrent sur la placette jusqu' en 1927, date à la
quelle le clocher actuel fut enfin construit.
photo : Emmanuelle Aubert
On attribue souvent les plans de l' église de Dornas à
Pierre Henri Bossan, architecte des basiliques de Notre Dame de Fourvière à Lyon
et de saint François Régis à La Louvesc.
Pour une modeste église de village cette parenté avec d'
aussi illustres bâtiments est prestigieuse ... mais elle est fausse!.
En effet, Pierre Henri Bossan étant mort en 1888, on voit
mal comment il aurait put être l' auteur
d' un projet pour Dornas dix ans plus tard.
En fait, cette erreur repose sur une homonymie. L'
architecte de l' église de Dornas a été, en réalité, Auguste-Siméon Baussan,
architecte diocésain de Viviers depuis1896 , et auteur, entre autres, de l'
èglise du Teil et de la chapelle du Sacré-Coeur de Privas.
A peine la nouvelle église était elle achevée qu' intervint
la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l' Etat.
La loi de 1905, toujours en vigueur, repose à la fois sur
le principe de la séparation de l' Etat et des Eglises et sur celui du respect
de la liberté des cultes. Elle a supprimé l' ancien service public du culte
institué par le concordat et prévu l' attribution des biens des établissements
cultuels à des associations constituées par les fidèles, aprés inventaire par l'
administation des domaines.
L' hostilité de l' église catholique à cette loi se
concentra très vite sur la question des inventaires, qui commencérent dès
janvier 1906.
En Ardèche les choses se passèrent d' abord calmement dans
les petites villes. A Antraygues, Aubenas, La Voulte, Le Cheylard,etc..., les
prêtres, entourés des conseils de fabriques, se contentérent de lire une
protestation et de refuser de signer les documents.
Les premiers incidents sérieux eurent lieu à Annonay, le 6
février 1906, avec des heurts violents entre manifestants chantant des cantiques
et contre-manifestants chantant la Marseillaise. Puis les manifestations se
généralisérent . Un peu partout, les populations se rasemblaient à l' appel du
tocsin pour empècher les inventaires. On jettait des pierres aux fonctionnaires,
on les traitait de voleurs, de canailles, de cochons, on les empéchait d'
accéder à l' église... Fin février 1906 les opérations étaient devenues
impossibles. Devant cette situation les autorités décidérent d' envoyer des
troupes. Trois cents hommes de différents régiments arrivèrent dans les
Boutières début mars.
Dans la région, des manifestations hostiles aux inventaires
eurent lieu un peu partout, à Saint Martin de Valamas, Arcens, Borée, etc...
Mais c' est à Dornas que se déroulérent les événements les plus graves.
Une première tentative d' inventaire avait été prévue le 27
février , mais le percepteur du Cheylard y renonça, devant l' hostilité des
populations.
L' inventaire eu finalement lieu le 10 mars 1906, sous l'
escorte de la troupe.
Sept cents à huit cents manifestants attendaient devant l'
église, dont trois cents hommes, et toutes les ouvrières des usines. La foule
faisait face aux forces de l' ordre et refusa de s'écarter. Le curé refusa d'
ouvrir les portes de l' église. Les soldats du génie attaquerent alors la porte
latérale à coup de hache. Des propos très vifs échangés entre le commissaire et
le vicaire amenèrent à l' arrestation de celui ci . Une échauffourée se
déclancha, entrainant la charge de la cavalerie et de l' infanterie. Il y eu des
personnes piétinées et des blessés.
Finalement la porte fut ouverte par la force et l'
inventaire rapidement mené sous les injures et les huées...
Le lendemain une inscription ètait apposée au dessus de la
porte fracturée : « Cette porte a été brisée par ordre du gouvernement. Cette
ignominie a été commise le 10 mars 1906 ».
A la suite de cette journée trois condamnations furent
prononçées, dont la plus lourde, celle du vicaire, à deux mois de prison et 100
francs d' amende. En appel la peine fut ramenée à 15 jours de prison avec
sursis.
L' inscription de 1906 a disparu, mais les traces de ces
événements sont encore présentes cent ans plus tard. Les panneaux de la porte
enfoncée ont été réparés par l' arriére avec de fortes planches, mais les coups
de hache de 1906 sont bien visibles . Combien de dornassois d'aujourd' hui
connaissent ils encore l' origine de cette dégradation?.
Aujourd' hui .
L' église actuelle de Dornas est un bâtiment plus que
centenaire, solide et en bon état, grace à des travaux importants de réparations
et d' entretien réalisés à plusieurs reprises au cours du XXem. siècle.
Paradoxalement, la situation s' est inversée: l' église de
1900 était vétuste et trop petite. Depuis, la population de la commune s' est
réduite des quatre cinquièmes de ce qu' elle était il y a un siècle, les
pratiques religieuses ont changé, il n' y a plus de curé résidant, encore moins
de vicaire, Le presbytère devenu inutile a été vendu recemment par la commune
et l' église est devenue très grande par rapport aux besoins du culte.
Mais le clocher de l' église, son horloge et ses cloches
qui sonnent chaque jour l' angélus, restent pour les dornassois, croyants ou
non croyants, le symbole même de la continuité, dans un village qui a su garder
son âme malgrés les changements profonds de son mode de vie .
Paul
Grange.
21/03/07
Sources bibliographiques.
-Notice sur le Cheylard, Albin Mazon, 1894. Nouvelle
édition Dolmazon/Curandera, 1987.
-Notes et documents historiques sur les Hugenots du Vivarais,
quatre tomes, Docteur Francus (Albin Mazon ) 1901, Edition de la
Bouquinerie,1994.
-Notes historiques sur Dornas ( divers articles
publiés entre 1910 et 1912 par « l' Echo paroissial de Dornas »,
bulletin paroissial. L' auteur était le curé de l' époque, l' abbé Chabannis).
-Diverses notes sur l' histoire de Dornas ( divers
articles publiées entre août 1938 et septembre 1939 par « la voix du
clocher Saint Vincent de Dornas », bulletin paroissial. L' auteur était
le curé de l' époque, le chanoine Bord ).
-Le Vivarais et le Velay protestant, Samuel Mours,
1947.éditions Dolmazon, 2003.
-Dornas ( article non signé, auteur Emile Arnaud.) Le coulassou N° 9, juillet août 1978, dossier sur les édifices
religieux de la région.